[Article paru dans la revue Communications, n° 15, 1970, p. 70-95]
Jacques
Durand
Rhétorique
et image publicitaire
1.
ÉLÉMENTS D'UN SYSTÈME
Rhétorique et publicité.
La rhétorique, actuellement délaissée par l'enseignement officiel et par la " littérature supérieure ", semble avoir trouvé refuge dans la publicité.
La rhétorique peut être définie, au moins sommairement, comme " l'art de la parole feinte ". En littérature, depuis le romantisme, règne le culte du " naturel " et de la " sincérité ". La publicité se présente au contraire comme artifice, outrance volontaire, schématisme rigide. Elle affiche ses conventions et le publie entre dans le jeu, discernant clairement ce qui est vérité et ce qui est feinte.
Le discrédit de la rhétorique peut expliquer, en partie, le discrédit de la publicité. Aujourd'hui, un regain d'intérêt se manifeste, dans le courant structuraliste, pour la rhétorique. On s'aperçoit alors que, si la publicité a un intérêt culturel, c'est à la pureté et à la richesse de sa structure rhétorique qu'elle le doit : non pas à ce qu'elle peut apporter d'information vraie, mais à sa part de fiction.
Une première analyse de l'image publicitaire à l'aide des concepts rhétoriques a été proposée par Roland Barthes dans le n° 4 de Communications : l'analyse approfondie d'une annonce le conduisait à jeter les bases d'une " rhétorique de l'image ". Il ajoutait que " cette rhétorique ne pourrait être constituée qu'à partir d'un inventaire assez large ", mais qu'on pouvait " prévoir dès maintenant qu'on y retrouverait quelques-unes des figures repérées autrefois par les Anciens et les Classiques " (p. 50).
C'est un tel inventaire qui a été tenté, sur plusieurs milliers d'annonces. Et cet inventaire a permis de retrouver dans l'image publicitaire, non pas quelques-unes, mais toutes les figures classiques de la rhétorique. Et, en sens inverse, il est apparu que la plupart des " idées créatives " qui sont à la base des meilleures annonces peuvent être interprétées comme la transposition (consciente ou non) des figures classiques.
Fonction de la rhétorique.
Nous admettrons, suivant une tradition ancienne, que la rhétorique met en jeu deux niveaux de langage (le " langage propre " et le " langage figuré "), et que la figure est une opération qui fait passer d'un niveau de langage à l'autre : c'est supposer que ce qui est dit de façon " figurée " aurait pu être dit de façon plus directe, plus simple, plus neutre.
Ce passage d'un niveau à l'autre se réaliserait, de façon symétrique, à deux moments : au moment de la création (l'émetteur du message partant d'une proposition simple pour la transformer à l'aide d'une " opération rhétorique ") et au moment de la réception (l'auditeur restituant la proposition dans sa simplicité première).
Bien entendu, cette thèse est en partie mythique : positivement, la " proposition simple " n'est pas formulée et rien ne nous assure de son existence. Celle-ci ne pourrait être établie que par une investigation spécifique : soit par interview d'un échantillon de lecteurs (pour reconstituer leur processus de lecture), soit par analyse d'un échantillon de textes (la " proposition simple " étant alors la proposition la plus probable étant donné le contexte). Cette " proposition simple ", virtuelle, offre en tout cas un intérêt opératoire, et c'est à ce titre que nous l'utiliserons.
Plus important est cet autre problème : qu'y a-t-il de plus dans la proposition figurée que dans la proposition simple ? Qu'est-ce qui, dans la proposition figurée, avertit l'auditeur qu'elle ne doit pas être prise au mot ? Et si l'auditeur restitue la proposition simple, qu'a-t-il reçu de plus que si cette proposition simple avait été seule prononcée : si l'on veut faire entendre une chose, pourquoi en dit-on une autre?
Pour résumer le problème de façon paradoxale : nous sommes en présence de deux propositions, dont l'une est réelle mais n'a pas de sens (ou plutôt : ... n'a pas le sens) et dont l'autre a un sens, mais n'existe pas.
On apportera un peu de lumière si (comme Freud dans Le mot d'esprit) on fait intervenir les concepts de désir et de censure. Prenons un exemple : " J'ai épousé un ours ", déclare une lectrice dans le courrier du cœur de Bonnes Soirées (11 février 1968). Une telle proposition, dans sa littéralité, transgresse certaines normes, ici d'ordre juridique, social, sexuel : il n'est pas licite, dans notre société, d'épouser un animal . Cette transgression joue un double rôle. D'abord l'improbabilité d'une contestation réelle des normes, dans le contexte où elle se trouve, avertit le lecteur qu'il ne doit pas s'en tenir au sens littéral et le conduit à rétablir la proposition initiale : " Mon mari est [sauvage comme] un ours " ou, plus simplement, " Mon mari est sauvage ". Mais d'autre part, même feinte, la transgression apporte une satisfaction à un désir interdit, et, parce que feinte, elle apporte une satisfaction impunie.
Toute figure de rhétorique pourra s'analyser ainsi dans la transgression feinte d'une norme. Suivant les cas, il s'agira des normes du langage, de la morale, de la société, de la logique, du monde physique, de la réalité, etc. On comprend ainsi les libertés que la publicité prend avec l'orthographe , avec la grammaire, l'emploi intensif qu'elle fait de l'humour, de l'érotisme, du fantastique - et, en même temps, le peu de sérieux qu'elle accorde à ces transgressions : ces licences, qui irritent tant de bons esprits, ne sont pas duplicité ou indigence de pensée, mais strict exercice de rhétorique.
En littérature, les normes contestées sont essentiellement celles du bon langage, et les figures présentent une certaine similitude avec les troubles de la parole. Dans l'image, les normes en cause sont surtout celles de la réalité physique, telles que les transmet la représentation photographique. L'image rhétorisée, dans sa lecture immédiate, s'apparente au fantastique, au rêve, aux hallucinations : la métaphore devient métamorphose, la répétition dédoublement, l'hyperbole gigantisme, l'ellipse lévitation, etc.
Parfois apparaît le souci de donner une justification réaliste à ces procédés : le dédoublement est " justifié " par la présence d'un miroir, le grossissement par la présence d'une loupe, etc. Bien entendu, l'irréalité n'est pas éliminée, mais seulement déplacée : la présence d'un miroir sur une plage (campagne Jantzen 1966) est fort incongrue.
Principes de classement des figures.
Dans son cours de 1964-65, Roland Barthes a proposé de classer les figures de rhétorique en deux grandes familles :
- Les métaboles, qui jouent sur la substitution d'un signifiant à un autre : jeux de mots, métaphore, métonymie, etc.
- Les parataxes, qui modifient les rapports existant normalement entre signes successifs : anaphore, ellipse, suspension, anacoluthe, etc.
Les premières se situent au niveau du paradigme, les secondes au niveau du syntagme.
Le classement que nous utiliserons se réfère aux mêmes concepts de paradigme et de syntagme, mais en ayant recours à l'un et l'autre dans la définition de chaque figure.
La figure de rhétorique étant définie comme une opération qui, partant d'une proposition simple, modifie certains éléments de cette proposition, les figures seront classées suivant deux dimensions :
- d'une part, la nature de cette opération.
- d'autre part, la nature de la relation qui unit les éléments variants.
L'opération se situe plutôt au niveau du syntagme, la relation au niveau du paradigme. On peut dire aussi que la première se rattache à la forme de l'expression (signifiants) et la seconde à la forme du contenu (signifiés).
a) Les opérations rhétoriques :
La multitude des figures classiques peut se réduire à un petit nombre d'opérations fondamentales.
L'examen des " figures de diction " montre qu'elles peuvent se répartir en cinq catégories : répétition d'un même son (rime, assonance, etc.), adjonction d'un son (prothèse, paragoge), suppression d'un son (aphérèse), substitution d'un son à un autre (diérèse), interversion de deux sons (métathèse).
Les " figures de construction " se réduisent aux mêmes opérations, appliquées aux mots : répétition d'un même mot (anaphore), adjonction d'un mot (pléonasme), suppression d'un mot (ellipse) etc.
Des mécanismes analogues se retrouvent d'ailleurs, comme l'a montré Freud, dans le rêve, le mot d'esprit, etc. : la répétition (Le mot d'esprit, p. 264), la suppression (oubli), la substitution (lapsus)...
En définitive, il y a deux opérations fondamentales :
- l'adjonction : on ajoute un ou plusieurs éléments à la proposition (elle comprend comme cas particulier la répétition : adjonction d'éléments identiques).
- la suppression : on enlève un ou plusieurs éléments de la proposition.
...et deux opérations dérivées :
- la substitution, qui s'analyse en une suppression suivie d'une adjonction : on enlève un élément pour le remplacer par un autre.
- l'échange, qui comprend deux substitutions réciproques : on permute deux éléments de la proposition.
Nicolas Ruwet (Introduction à la grammaire générative, p. 250-251) propose deux opérations supplémentaires : " l'expansion " et la " réduction " ; ce sont des cas particuliers de substitution (substitution majorative et substitution minorative), qui diffèrent par la nature de la relation, c'est-à-dire suivant la seconde dimension de notre classement.
b) Les relations :
Les relations qui existent entre deux propositions peuvent être classées également selon une dichotomie fondamentale : celle du même et de l'autre, de la similitude et de la différence. G. G. Granger voit dans cette dichotomie le couple constitutif de la notion de qualité, l'étape ultime de la réduction de la qualité dans la pensée structurale (Pensée formelle et sciences de l'homme, p. 109-111).
Le problème est de savoir comment utiliser ces deux concepts pour définir des degrés supplémentaires de relation. D. Kergévant s'en tire en introduisant une différence de degré ; il distingue deux catégories de comparaisons : la ressemblance et la dissemblance, et dans chaque catégorie deux degrés, un degré faible et un degré fort : analogie et identité d'une part, différence et opposition d'autre part .
Une autre solution (c'est celle notamment de Barthes et de Greimas) consiste à décomposer le signifié en éléments (les sèmes), afin de séparer ceux qui sont porteurs d'identité et ceux qui sont porteurs de différence. S. Lupasco insiste au contraire sur le caractère indissociable de la similitude et de la différence : les divers objets logiques correspondent à des degrés divers d'actualisation et de potentialisation corrélatives de ces deux concepts, sans que l'on puisse atteindre l'actualisation totale d'un concept et la potentialisation totale de l'autre .
En fait il semble qu'il y ait non pas une mais deux dichotomies fondamentales : similitude et différence d'une part, solidarité et opposition d'autre part. Et les rapports entre ces deux dichotomies sont instables et ambigus. Au stade préœdipien, lorsque s'acquiert la distinction du moi et de l'autre, la similitude est signe de l'appartenance à une même classe, d'une extension du moi, et la différence est signe d'extériorité, de séparation. Avec le stade œdipien, l'homologie se renverse : la différence de sexe signifie complémentarité et désir, tandis que l'identité de sexe entraîne identité d'objet du désir, rivalité, conflit.
Les définitions que nous adopterons seront plus formelles : elles seront fondées sur la notion de paradigme. Deux éléments seront dits " opposés " s'ils appartiennent à un paradigme qui se limite à ces termes (exemple : masculin/féminin) - " autres " s'ils appartiennent à un paradigme qui comprend d'autres termes - " mêmes " s'ils appartiennent à un paradigme constitué d'un terme unique. On passe de la notion de paradigme à la notion de transgression si l'on admet que deux termes d'un même paradigme ne doivent pas, normalement, figurer dans la même proposition - la transgression est faible pour deux éléments " autres " (simple coïncidence), forte pour deux éléments " opposés " (rencontre de deux éléments antagonistes), très forte pour deux éléments " mêmes " (dédoublement d’un élément unique).
Suivant les rapports élémentaires qui unissent leurs éléments respectifs, deux propositions pourront être liées par les relations suivantes
- identité : uniquement des rapports " même " ;
- similarité : au moins un rapport " même " et des rapports " autre " ;
- opposition : au moins un rapport " opposé " ;
- différence : uniquement des rapports " autre ".
Comment définira-t-on les éléments constituants d'une proposition ? il suffit de dire que ce sont ceux qui supportent les rapports élémentaires : l'analyse des figures de rhétorique indiquera simultanément quels sont les éléments constituants et quels sont les rapports qui existent entre eux. Les éléments constituants ne recouvrent donc pas nécessairement l'ensemble des unités de signification contenues dans la proposition, mais seulement celles qui ont été utilisées consciemment par le créateur dans son jeu rhétorique.
Le découpage le plus simple ne comporte que deux éléments : la forme et le contenu. Comme nous le verrons, ce découpage est difficile à transposer à l'image publicitaire. Mais il est à la base des définitions des figures classiques. Ces deux éléments suffisent déjà pour engendrer neuf types différents de relations entre les propositions :
Tableau 1
|
Rapport des formes |
||
Rapport des contenus |
mêmes |
autres |
opposées |
mêmes |
identité |
similarité du contenu |
paradoxe |
autres |
similarité de forme |
différence |
opposition de forme |
opposés |
double sens |
opposition de contenu |
opposition homologique |
Paradoxe et double sens sont des figures intéressantes car elles présentent une contamination du rapport de contenu par le rapport de forme : le rapport de contenu est perçu d'abord comme homologique du rapport de forme puis il se renverse dans une lecture plus attentive.
c) Le tableau de classement des figures :
L'ensemble des figures de rhétorique peut se classer suivant les deux dimensions définies. Nous indiquons ici une figure à titre d'exemple dans chacune des cases du tableau :
Tableau 2
Classement général des figures
|
Opération rhétorique |
|||
Relation entre éléments variants |
A Adjonction |
B Suppression |
C Substitution |
D Échange |
1 - Identité |
Répétition |
Ellipse |
Hyperbole |
Inversion |
2 - Similarité - de forme - de contenu |
Rime Comparaison |
.. Circonlocution |
Allusion Métaphore |
Hendiadyn Homologie |
3 - Différence |
Accumulation |
Suspension |
Métonymie |
Asyndète |
4 - Opposition - de forme - de contenu |
Attelage Antithèse |
Dubitation Réticence |
Périphrase Euphémisme |
Anacoluthe Chiasme |
5 - Fausses homologies - Double sens - Paradoxe |
Antanaclase Paradoxe |
Tautologie Prétérition |
Calembour Antiphrase |
Antimétabole Antilogie |
2. INVENTAIRE DES FIGURES DANS L'IMAGE PUBLICITAIRE
A. FIGURES
D'ADJONCTION
A.1. Répétition.
La rhétorique classique connaît un grand nombre de figures de répétition, qui se distinguent par la substance de l'élément répété (son, mot, groupe de mots) ou par la position de cet élément dans la chaîne parlée (début ou fin de phrase, etc.) : assonance, rime, allitération, homéotéleute, anaphore, épanaphore, épistrophe, épanalepse, anadiplose, épanadiplose, concaténation, symploque.
La répétition peut s'analyser en un double rapport d'identité : identité de forme et identité de contenu. Malaisée et fastidieuse dans le langage, elle peut être obtenue de façon plus simple et plus pure dans le domaine visuel, par la reproduction photographique d'une même image.
Cette répétition peut être réalisée par la présence dans la même annonce de plusieurs photos identiques, séparées par des marges blanches (Meraklon, 1963) ; il s'agit d'un simple effet de mise en page, qui s'oppose seulement à la norme journalistique : il n'est pas usuel de voir côte à côte dans un journal plusieurs photos identiques. Dans d'autres cas les éléments répétés sont imbriqués, l'un à côté de l'autre, dans une même image : c'est alors le principe de l'unité de l'être qui est transgressé, et l'on est à la limite du fantastique (Flesalba, 1965).
La répétition photographique peut apparaître comme l'expression emphatique de la multiplicité : la juxtaposition de photos identiques d'un même individu peut illustrer l'utilisation quotidienne d'un même produit (Set de Pantène, 1966) ou même un ensemble d'individus différents ; ce procédé aboutit à réaliser au niveau de l'image la réduction impliquée par la numération : compter c'est faire abstraction des différences.
La répétition photographique peut illustrer la répétition temporelle. L'espace qui sépare les différentes images devient alors signifiant de la durée écoulée entre chacun des instants : de larges marges indiquent des actes espacés (Meraklon : les quatre saisons) ; des images jointives indiquent un intervalle réduit (Set de Pantène : chaque jour) ; et la fusion des éléments identiques dans une même image indique la simultanéité (vision kaléidoscopique : Rouge Dior, 1965, Perrier, 1968).
Une variation graduelle de la taille de l'élément répété (Bade Das, 1963) permet de réaliser de façon très pure la " gradation ", dont le langage ne peut donner qu'une faible approximation.
A.2. Similarité.
La rhétorique classique connaît deux types de figures de similarité : celles qui reposent sur une similarité de forme (rime, apophonie, paronomase) et celles qui reposent sur une similarité du contenu (comparaison, pléonasme, expolition, épanorthose).
Cette distinction peut être transposée à l'image. On rencontre effectivement des annonces fondées sur des similitudes formelles. Ainsi une annonce qui compare la forme d'un biscuit à celle d'un doigt, la similitude visuelle étant soulignée par le texte (" c'est comme un doigt ", Cadbury, 1968).
De même Baby Relax, qui se contentait en 1967 d'une comparaison littérale (" Baby Relax, l'enveloppante sécurité des bras d'une maman "), a su en 1968 illustrer de façon suggestive la similitude de forme entre ce siège et le corps de la mère.
La distinction entre forme et contenu est toutefois peu opérante (on constatera dans les deux exemples précédents que ce qui est " forme " dans l'image peut devenir " contenu " dans le texte). Il est préférable de remonter à la définition plus abstraite de la similarité : ensemble d'éléments dont les uns sont porteurs de similitude et les autres de différence.
Les deux éléments essentiels des annonces sont le produit (qui intéresse l'annonceur) et les personnages (qui intéressent le lecteur) ; nous grouperons provisoirement sous le terme de " forme " l'ensemble des autres éléments : attitudes, vêtements (pour autant qu'ils ne sont pas l'objet de la publicité), accessoires, lieux... Chacun de ces éléments pouvant être marqué de similitude ou de différence, on se trouve en face de huit possibilités, qui sont effectivement attestées, et qui correspondent à des significations nettement distinctes :
a) même forme, même personnage, même produit : c'est le cas de la répétition photographique, que nous venons d'étudier.
b) identité de forme et de personnage, produits différents : le même personnage dans une posture identique présente les divers modèles d'une collection (Ban Lon, 1966) ou les diverses utilisations d'un produit (les 7 " taches terribles " : Génie, 1968) ; il s'agit ici d'explorer un paradigme (celui des variétés du produit, ou de ses utilisations) et le personnage se fige dans une immobilité contemplative, soulignant le caractère abstrait du paradigme.
On peut d'ailleurs rencontrer à l'état pur, sans personnage, le paradigme des variétés d'un produit (la pile bien rangée de flacons d'épices Sulta) ou de ses utilisations (le pain Jacquet " nature... ou grillé... ou tartiné... etc. ")
c) identité de forme et de produit, personnages différents : comme dans la figure précédente, la similitude formelle crée un sentiment d'artifice : les personnages semblent participer à un ballet; mais la finalité est différente : il s'agit de mettre l'accent sur l'unanimité des utilisateurs dans le choix d'un même produit (Alitalia, 1965 : quatre personnages de races différentes regardent le même avion).
d) identité de forme, personnages et produits différents : il y a ici homologie entre deux paradigmes, celui des personnages et celui des variantes du produit. Ainsi Ambre Solaire, 1966 qui présente sept jeunes filles portant le même maillot et assises sur le même fauteuil, et explique pourquoi elles utilisent des variétés différentes du produit.
e) identité de personnage et de produit, différence de forme : la différence de forme indique que l'on quitte le domaine de l'abstraction pour celui de la concrétude. On n'explorera plus l'espace du paradigme, mais la dimension du temporel, du syntagme. Un grand nombre d'annonces illustrent ainsi le déroulement d'un processus temporel : mouvement saisi par un effet stroboscopique (Savora, La Redoute, 1966, Playtex, de 1965 à 1967) ; différentes étapes d'un déshabillage (Rosy-Doll, 1965); différentes phases de fabrication ou d'utilisation du produit (Caméras Kodak, 1965, Nescafé, 1964) ; différentes activités d'une journée (Lesieur, 1966, Tress, de 1965 à 1968).
La même figure peut illustrer la diversité des utilisations d'un produit (le nettoyage des différentes pièces d'un appartement : Spic, 1965).
En raison même de son aspect concret, cette figure peut enfin prendre une tonalité fantastique : si les deux personnages identiques sont intégrés à une même image, la différence d'attitude peut indiquer qu'il ne s'agit pas d'une répétition photographique, donc que ce sont deux personnages différents : le texte parle alors de " jumelles ", de " doublures ",... (ID, 1965, Tassal, 1967).
f) même personnage, différence de forme et de produit : il s'agit ici d'explorer les variétés diverses du produit (linge de maison Masurel, 1967) ou les diverses manières dont on peut l'utiliser (soutiens-gorge convertibles : Warner, 1966, Variety Valisère, 1968) ; l'identité de personnage a ici pour fonction de signifier, par déplacement, l'unité du produit.
Comme dans la figure précédente, si les personnages identiques sont fondus dans une même image, on aboutit à un effet de fantastique (Mademoiselle Korrigan, 1965, Ombre et soleil Mercier, 1965, Sac Fantasia, 1966).
g) différence de forme et de personnages : que le produit soit le même ou différent, on est devant une figure " d'accumulation ", qui sera étudiée ultérieurement.
Si l'on prend une vue d'ensemble des figures de similarité, on constate qu'elles visent toutes à transmettre un signifié unique, qui peut se décomposer en deux propositions corrélatives :
- l'unité de la marque ; il ne s'agit bien entendu pas d'une unité de fait, mais d'une unité de droit : l'annonce décrète l'obligation d'utiliser une seule marque.
- l'unanimité des utilisateurs : là non plus ce n'est pas une unanimité de fait, mais une unanimité idéale, un but à atteindre.
Tableau 3
Classement des figures de similarité
|
|
Produit unique |
Variétés du produit |
même forme |
même personnage |
a) répétition du personnage expression emphatique de la répétition des utili-sations ou de la multi-plicité des utilisateurs |
b) exploration du paradigme des variétés du produit |
style abstrait exploration systématique d’un paradigme, |
pas de personnage |
a’) répétition du produit expression emphatique de son unicité |
b’) paradigme pur des
variétés du produit |
expression de l’unité du produit |
personnages différents |
c) " ballet ", exploration du paradigme des utilisa-teurs |
d) homologie entre les deux paradigmes |
forme différente |
même personnage |
e) expression analytique
du déroulement temporel (activités de l’utilisateur) |
f) expression de l’unité du produit dans la diversité de ses variétés |
style concret (réaliste ou fantastique) exploration analytique |
pas de personnage |
e’) déroulement temporel (étapes de la fabrication ou de l’utilisation du produit) |
g’) " accumulation " des variétés du produit |
du syntagme, de la temporalité |
personnages différents |
g’’) " accumulation " des utilisateurs |
g) " accumulation " des variétés du produit et de ses utilisateurs |
La publicité se présente ainsi comme un " monothéisme universaliste " : " il y a un seul dieu, adorez-le tous! ".
Mais comme l'analyse nous l'a montré (cf. tableau 3) ces deux propositions fondamentales sont exprimées suivant les circonstances par des signifiants différents.
L'unité du produit peut être exprimée par la présentation répétée du produit lui-même. Mais si ce produit ne peut être visualisé, ou s'il éclate en multiples variantes, l'unité de la marque est exprimée par l'identité formelle (mêmes attitudes, mêmes vêtements) ou par l'identité du personnage : mais on entre alors en conflit avec la deuxième proposition.
L'unanimité des utilisateurs peut être exprimée par la présentation de personnages différents (signifiant faible : on exprime la pluralité, mais pas l'unanimité), ou par la présentation de personnages constituant un paradigme clos (sexes, races.. : on peut exprimer ainsi la totalité, mais on risque de faire naître l'idée de conflit, d'opposition), ou par la présentation du paradigme des variétés du produit (une variété pour chaque besoin : mais on met en cause la première proposition), ou par l'homologie entre ces deux paradigmes (expression renforcée), ou par l'identité formelle entre les personnages (qui peut exprimer la numération), ou même par la répétition d'un même personnage (expression emphatique, mais périlleuse, de la multiplicité).
A.3. Accumulation.
Lorsqu'on ajoute à un message des éléments différents, on obtient une figure d' " accumulation ". La rhétorique classique connaissait une figure portant ce nom, et on peut lui associer quelques figures annexes comme " l'épitrochasme ", la " conjonction " et la "disjonction ", etc.
L'accumulation renvoie à deux signifiés. Le premier est celui de la quantité, ou plus exactement de la quotité, de la masse, puisque le nombre exige une structuration par les rapports d'identité et de différence qui fait ici défaut. Le second signifié est celui du désordre, du chaos : les personnages et les objets présentés ne sont pas sagement alignés (comme dans l'expression simple du paradigme), mais entassés, amoncelés, enchevêtrés ; les rapports d'identité et d'opposition ne sont pas seulement absents, ils sont refusés. Exprimant la profusion, l'accumulation est donc une figure romantique. Ce n'est pas pour autant une figure forte : le fait de refuser la structuration lui donne au contraire un champ d'expression limité.
Nous trouvons d'abord des images qui illustrent des accumulations verbales (" Ma pipe, mon cheval, ma femme ", Prestinox, 1966 - " Son bureau, son chien, son eau de toilette " : Green Water). Ensuite l'accumulation des variantes d'un produit, sans personnage ou avec un présentateur unique (Légumes d'Aucy, Laines Picaud, 1965, Récipients Tupperware, 1967). Ensuite des accumulations de personnages présentant diverses variétés du produit, avec une homologie plus ou moins marquée entre personnages et variétés (maillots Rasurel, Teeshirts Jil-Zodiaque, 1964...). Enfin un objet unique accompagné d'une accumulation d'objets hétéroclites, avec lesquels il n'entretient que des rapports lointains : c'est un aspect que nous retrouverons dans la métonymie (" le luxe c'est... " Toualifa, 1967 - UTA, 1966).
A.4. Opposition.
Les figures classiques d'opposition peuvent, elles aussi, être réparties en deux familles, suivant qu'il y a opposition au niveau de la forme (anachronisme, attelage) ou au niveau du contenu (antithèse, par'uponïan).
Certaines annonces se présentent comme la transposition immédiate de ces figures.
Par exemple la même scène est présentée tour à tour dans le style de deux pays ou de deux siècles différents (Rhum Clément, 1966 - Obao, 1966 et 1967 - Mobilier Français, 1966 - Société générale, 1964 - Confitures Keiller). Ou encore la même image associe des éléments entre lesquels existe une certaine opposition : un ramoneur sur un tapis (Tapis Vernier, 1962), un homme en blanc sur un tas de charbon (Omo, 1967), un personnage malodorant près d'une narine délicate (Rexona).
On reste là au stade de l'illustration sommaire de figures verbales. L'image publicitaire permet un jeu plus subtil, à partir du moment où le créateur prend conscience de la gamme d'éléments dont il dispose et où il crée systématiquement des rapports d'identité et d'opposition entre ces éléments.
Ce qui justifie l'antithèse, c'est la présence concurrente de plusieurs marques sur le marché. Une première solution consiste à ignorer cette compétition et à se contenter d'affirmer la valeur absolue de la marque, comme si elle était unique : cette solution correspond aux figures de répétition, de similarité et d'accumulation. Une autre solution consiste à prendre son parti de la compétition, à l'installer au cœur de l'annonce, mais en plaçant la marque en situation avantageuse ; après le panégyrique du dieu unique, la réfutation des idolâtries et des hérésies : c'est le rôle des figures d'opposition.
En fait il est rare que les différentes marques soient présentées concurremment dans une même annonce : la loi ou la coutume l'interdisent en France (signalons toutefois une annonce de Skip qui énumère 49 fabricants de machines à laver). Dans la plupart des cas, il s'agira d'un simulacre, qui opposera la marque annoncée à une marque anonyme, ou à la non-utilisation de cette marque, ou qui mettra en compétition deux variétés de la même marque, etc.
a) Comparaison entre deux marques : dans cette famille d'annonces, la marque est mise en parallèle avec une marque concurrente anonyme. Le parallèle est visualisé en général par la symétrie (verticale ou horizontale) de la mise en page. Les deux marques sont présentées dans deux images placées côte à côte. L'analyse détaillée de ces images fait apparaître une multitude d'éléments signifiants liés suivant les cas par des rapports d'identité ou d'opposition. Par exemple l'une des images peut être sombre et l'autre lumineuse, l'une en noir et blanc et l'autre en couleur, etc.
La présence simultanée de rapports d'identité et de rapports d'opposition s'explique ; il faut d'une part insister sur les conditions de réalisation du test, indiquer que les deux marques bénéficiaient de chances égales : les rapports d'identité sont les signifiants de l'impartialité du test ; il faut d'autre part insister sur les résultats, montrer que la marque annoncée surclasse nettement son concurrent : les rapports d'opposition sont les signifiants de la supériorité de la marque. Mais bien entendu les deux objectifs sont contradictoires, et leur poursuite simultanée exige une grande adresse.
Suivant les cas la comparaison présente deux fois le même personnage (Krypton, 1964 - Laque Color Net, 1966), ou met en jeu deux personnages différents (Spic de façon presque continue depuis 1962, Persil depuis trente ans).
Ces deux solutions impliquent des significations différentes. Présenter deux fois le même personnage, c'est évoquer l'expérience la plus probante, celle que le lecteur peut effectuer lui-même : mais c'est risquer de perdre des acheteurs fidèles, en les incitant à tenter eux aussi l'expérience et à changer de marque. Présenter des personnages différents, c'est opposer la vérité et l'erreur en leur donnant visage humain ; c'est faire appel au témoignage des " justes " ; mais c'est aussi suggérer (surtout si la campagne dure longtemps), que les " égarés " ont une singulière persistance dans leur erreur, ce qui diminue la force probante attribuée à la marque et à sa publicité.
b) Comparaison entre utilisation et non utilisation de la marque :
L'opposition met ici en parallèle deux situations : celle qui existait avant utilisation de la marque et celle qui existe après (opposition avant/après : Sunsilk, 1968 - Belle Color - 1967 - Gibbs SR, 1964). Parfois l'opposition est faite entre deux virtualités : le résultat que l'on obtiendra suivant que l'on aura utilisé ou non la marque (Johnson car plate, 1962).
Cette figure est réalisée généralement en utilisant un même personnage, ou pas de personnage du tout (Armoire de pharmacie Allibert, 1966). Comme dans la première figure d'opposition, il s'agit d'un test individuel, mais qui élude l'existence des marques concurrentes : à ce titre on est proche des figures de similarité.
c) Paradigme des variétés d'une marque, ou de ses diverses utilisations :
Cette figure joue le même rôle qu'une figure de similarité, si ce n'est qu'ici les éléments prélevés dans le paradigme, au lieu d'être quelconques, sont les termes extrêmes : 4 CV et voiture de course, tacot et voiture moderne (Renault, 1964), appartement et maison de campagne (Immobilia, 1966), situation de travail et situation de loisir (Dralon, 1962), jour et nuit (Canapé-lit Rachet). Le personnage est soit identique, soit absent (paradigme pur).
Cette figure peut avoir pour but soit d'exprimer de façon emphatique la diversité de la gamme, soit de neutraliser la compétition) en l'installant entre les modèles.
En tous les cas, comme il ne s'agit pas d'avantager un modèle par rapport aux autres, une stricte égalité est maintenue ici entre les deux termes de l'opposition.
d) Paradigme des utilisateurs :
Il s'agit, ici encore, comme dans une figure de similarité, d'insister sur la diversité des utilisateurs de la marque en montrant son utilisation par deux personnages situés dans un paradigme limité : masculin/féminin (Petit Bateau, 1964 - Leacril, 1967), Parent/enfant (Monsavon, 1966), adulte/enfant (Stemm, 1965), blanc/noir (Dralon, 1962). Et ici encore, une stricte égalité est maintenue entre les deux termes de l'opposition.
Le tableau 4 résume les grands traits des figures d'opposition. Mais il faut insister sur la richesse et la diversité réelle que l'on trouve dans l'application de ces figures. Chaque annonce doit être soumise à une lecture minutieuse, à un inventaire systématique des rapports d'identité, de différence et d'opposition.
Tableau 4
Classement des figures d’opposition
paradigme de marques idée de compétition
|
opposition entre deux marques |
même personnage |
opposition bon produit/ mauvais produit test comparatif , appel à l'expérience individuelle |
personnages différents |
homologie entre personnages et produits opposition de la vérité et de l'erreur, appel au témoignage |
||
opposition entre utilisation et non-utilisation de la marque |
même personnage |
comparaison avec/sans ou avant/après |
|
paradigme de variantes idée de totalité
|
variantes de produits
|
pas de personnage |
paradigme pur des variantes du produit réduit à ses termes extrêmes |
même personnage |
mise en oeuvre systématique du paradigme (+ expression de l'unité du produit) |
||
même produit
|
pas de personnage |
paradigme des utilisations du produit |
|
paradigme des personnages |
diversité des utilisateurs et des utilisations (paradigme réduit à ses termes extrêmes) |
A.5. Double sens et paradoxes.
Ces figures jouent sur l'opposition entre apparence et réalité : dans le double sens une similitude apparente dissimule une différence réelle ; dans le paradoxe une opposition apparente recouvre une identité réelle. La rhétorique classique définit plusieurs figures de ce type, qui diffèrent par le degré de ressemblance (similarité ou identité) ou par le degré de dissemblance (différence ou opposition).
a) Double sens :
En rhétorique classique c'est essentiellement l'" antanaclase " : les mêmes sons répétés deux fois avec un sens différent (exemple : le titre d'un film récent Cinq gars pour Singapour).
Une forme d'antanaclase fréquemment utilisée en publicité consiste à présenter dans l'image des objets ou des personnages qui apparaissent comme identiques et à signaler leur différence dans le texte : " radicalement différents " (image de deux maillots : Méraklon, 1962) - " ces deux bas sont différents " (Bas Rodier, 1964), " Mesurez-les : elles ne font pas la paire. " (Chaussures Pellet, 1966)...
Cette figure est souvent présentée sous la forme d'une énigme, comme dans ces jeux qui consistent à détecter les différences entre deux dessins apparemment identiques. Mais il s'agit le plus souvent d'une fausse énigme car le texte précise que la ressemblance est telle que l'on ne peut pas y répondre : " De ces deux chats, lequel est la grand-mère ? difficile à dire... " (Kit-et-Kat, 1963) ; " Qui est la mère, qui est la fille?...ce n'est pas leur teint qui vous le dira " (Monsavon, 1966) ; " Un de ces pulls est neuf, lequel ?... impossible à voir... " (Paic, 1966).
Une variante humoristique de cette figure consiste à indiquer dans le texte des différences entre des objets qui sont réellement identiques (" Store français, store anglais, store brésilien " : Luxaflex, 1965).
Cette première forme d'antanaclase reste tributaire du texte. Une seconde forme est purement visuelle : ce sont ici des éléments visuels qui indiquent que deux formes identiques recouvrent des réalités différentes. C'est le cas déjà lorsqu'une image nous présente à la fois un personnage et son reflet dans un miroir : sans doute est-on proche de la figuration réaliste, mais la présence du miroir peut en certains cas être trop incongrue pour ne pas être une simple justification (Jantzen, 1966). L'antanaclase visuelle apparaît avec une grande pureté dans la campagne Ferrania de 1969 : la même scène est présentée à deux reprises, une fois comme une scène réelle regardée à travers un cadre de diapositive, la seconde fois comme une photo enfermés dans le même cadre. Le même procédé se trouve dans des annonces pour Petit Bateau (1966), Polaroïd (1964) (avec un décalage temporel entre scène réelle et photographie), et Télévision Grammont (un personnage qui regarde sa propre image sur un récepteur).
b) Paradoxe :
Le paradoxe peut être considéré comme la figure symétrique de l'antanaclase. Le texte nous informera par exemple des similitudes réelles qui existent entre des personnages ou des objets apparemment dissemblables (" Tous la même forme ", Canigou, 1968 - " Quelle ressemblance y a-t-il entre un bain de mer et un TIKI ? la fraîcheur ", Tiki, 1966 - " Laquelle se maquille Payot ? toutes les deux bien sûr ", Payot, 1966).
Une formule plus structurée du paradoxe consiste dans le dilemme, la fausse alternative : l'annonce illustre visuellement une opposition, elle annonce un choix, puis révèle que dans un cas comme dans l'autre la marque choisie sera la même : " Qui va gagner? les rouges rouges ? les roses clairs ? de toute façon Peggy Sage " - " Prenez parti, nuances fines ou couleurs franches : Polycolor ou Polyardent " - " Café ménage... Café dégustation ? à vous de choisir? (Café, 1967). Il y a ici encore un simulacre d'opposition, dont la fonction réelle est d'exclure plus sûrement les marques concurrentes : " Un bon départ pour ces petits pieds : ils vont tous nus... ou tout cuir".
Mais l'application la plus intéressante du paradoxe est ce qu'on peut appeler la résolution d'une antinomie : la marque est l'instrument miraculeux qui vient apporter une solution à un dilemme auquel jusque là on ne pouvait échapper.
Cette figure est présentée verbalement dans la campagne Outspan de 1967 : "Comment concilier taille de guêpe et faim de loup? Il faut manger (...) Outspan... ". La campagne Lava de 1967 en donne une illustration visuelle très claire : le dilemme ancien (faire bouillir ou avoir du linge pas blanc) figure en noir et blanc dans la partie gauche de l'image, la solution du dilemme (Lava " qui lave aussi blanc sans bouillir ") en couleurs dans la partie droite. Mais une semblable figure est implicite dans beaucoup de campagnes : " Boire Evian, c'est respirer à 3.000 mètres " (solution du dilemme : ville ou air pur) - " Fraîcheur d'hiver en plein été " (Outspan) - " La mer à domicile " (Biomer, 1966).
L'analyse de cette figure renvoie à un schéma qui est sans doute fondamental pour la publicité. Mais il ne lui est pas propre : de nombreux romans policiers, par exemple, sont construits sur la succession de deux paradoxes opposés .
B. FIGURES DE SUPPRESSION.
Les figures fondées sur la suppression d'un élément sont plus rares que les figures adjonctives dans l'image publicitaire. D'abord parce que la publicité a plus souvent tendance à majorer qu'à minorer. Ensuite parce que leur efficacité publicitaire est douteuse. Enfin parce que leur réalisation est délicate : il ne s'agit pas seulement de supprimer un élément, mais d'amener le lecteur à percevoir cette absence et à reconstituer l'élément absent.
B. 1. L'ellipse.
L'ellipse peut être considérée comme la figure inverse de la répétition : dans un cas, on présente plusieurs fois de suite le même élément, dans l'autre cas, on ne le présente pas même une fois. Comme la répétition, l'ellipse est une figure moniste, qui met en jeu la seule relation d'un élément avec lui-même.
Visuellement, l'ellipse consiste dans la suppression de certains éléments de l'image : objets, personnages, etc. L'image est perçue comme incomplète et elle peut être facilement interprétée comme illustration de scènes fantastiques (disparitions, lévitation, invisibilité, etc.).
Une première catégorie d'ellipse porte sur les éléments accessoires qui accompagnent le produit - les pieds d'une table (Celamine, 1966), la voiture qui supporte les ceintures de sécurité (ceintures Air France) etc. Il s'agit par cet artifice de mettre en valeur le produit, d'indiquer nettement qu'il est l'élément essentiel de l'image.
Un second type d'ellipse porte sur les personnages : l'image montre des objets qui se déplacent seuls dans l'espace, comme portés par un homme invisible (Rilsan, 1965, Moka Seb, 1964, lait Gloria, 1968). Ici encore le produit est mis en valeur, mais la disparition des personnages peut créer un malaise chez le lecteur qui pourra difficilement s'identifier à eux.
Un troisième type d'ellipse porte sur le produit lui-même. Il s'agit de montrer que le produit s'efface avec discrétion, qu'il importe moins que les services qu'il fournit à ses utilisateurs : le récepteur de télévision " qui disparaît lorsque l'image paraît " (Continental Edison) - la voiture sans moteur (Volkswagen, 1965) - les plats qui flottent dans l'espace (cuisinières Thermor, 1968) - les personnages assis en l'air (sièges Steiner, 1965), etc.
B.2. Dans des figures telles que la circonlocution, l'élément supprimé est lié à un autre élément du message par un rapport de similarité (similarité de forme ou de contenu). Une transposition visuelle simple de cette figure consiste à présenter le reflet d'un personnage dans un miroir, sans présenter ce personnage lui-même (Persavon, 1964).
B.3. La suspension et la digression consistent à retarder un élément du message, par des incidents qui n'ont avec lui qu'un rapport de contiguïté. Cette figure est utilisée par exemple dans les annonces qui occupent les deux faces d'une même feuille, la première page présentant un texte ou une image énigmatiques (Racorama, 1966, Tricots Bel).
B.4. Dans la dubitation, la suppression d'un élément est due à une opposition de forme (on hésite entre plusieurs formes pour transmettre un même contenu) ; dans la réticence, elle est due à une opposition de contenus : il y a censure d'un élément qui s'oppose à un tabou. La réticence est fréquente dans l'image publicitaire et elle se traduit par un véritable code : les bras croisés devant les seins nus (tabou sexuel : Boléro, Vitos, Triumph, etc.), le rectangle noir sur les yeux (tabou de la vie privée : Contrex, 1963, etc.), les produits présentés sans étiquette, anonymement, (tabou commercial : Verre, 1964). Un exemple très pur de réticence est la campagne Simca de 1968 qui oppose cette voiture à ses concurrents, mais en omettant de les montrer (" et que le meilleur gagne ").
B.5. Les figures suppressives de fausse homologie peuvent être ici encore de deux types :
- ou bien le même signifiant est présenté à deux reprises avec des sens différents, mais cette différence est éludée : c'est la tautologie ;
- ou bien l'on feint de ne pas dire ce que l'on dit en réalité très bien : c'est la prétérition.
La tautologie verbale est fréquente en publicité : " Seul Klaxon klaxonne " - " Une Volkswagen est une Volkswagen " - " Plus un homme est un homme..." etc. Visuellement elle est peut-être réalisée par simple présentation du produit lui-même, comme si sa seule présence dispensait de tout autre commentaire (N° 5 de Chanel).
La prétérition verbale se rencontre dans les textes publicitaires qui feignent le secret (" Chut, ne le dites qu'à vos amies! " UNA, 1966) ainsi que dans les annonces qui affirment que le produit n'a pas besoin de publicité (Film Le vice et la vertu, 1963). Un bel exemple est l'annonce Banania de 1964, qui omet volontairement de citer le nom du produit (" Si on vous dit " Y a bon " que répondez-vous? "). La prétérition visuelle consiste par exemple dans un geste de fausse pudeur : les bras croisés devant des seins nus qui sont bien visibles (Lady, 1967) ou le mannequin dénudé qui se dissimule les yeux (geste fréquent il y a quelques années).
C. FIGURES DE SUBSTITUTION.
C.1. Substitution identique.
La figure de substitution la plus simple est celle qui remplace un élément par un élément identique. Cette figure, non recensée par la rhétorique classique, pourrait être dénommée " homéophore ". La difficulté de cette figure tient évidemment au fait que la substitution doit être perçue malgré l'identité des éléments concernés. La substitution identique sera perçue par exemple si l'on s'attendait à une substitution, mais entre deux éléments différents. La nouvelle de Borges, Pierre Ménard auteur du Quichotte, en fournit un exemple ; autre exemple, cette devinette : " Je parie que vous ne devinez pas comment mon fils écrit fusil ! " (La réponse, inattendue, est f.u.s.i.l.). Nous n'en avons pas trouvé d'exemple en publicité, bien que ce soit concevable.
La substitution identique peut s'accompagner d'une différence de degré (comme c'était le cas dans la gradation). On obtiendra ainsi une substitution majorative (accent, hyperbole) ou minorative (litote).
L'accent, procédé de mise en valeur d'un élément au niveau de l'énonciation, peut être réalisé visuellement par la présence d'un élément en couleur dans une image en noir et blanc (Vapona, 1967), par une flèche ou un encadré (Signal).
L'hyperbole, qui consiste dans " l'exagération des termes ", est fréquente dans les textes publicitaires (" Le plus grand secret de beauté de tous les temps " : Elisabeth Arden). Son équivalent visuel est le grossissement de l'image (exemple : une annonce de 1962 présentant un " petit pois grossi 12 000 fois ").
La litote consiste à l'inverse dans une manière d'écrire serrée, laconique. Visuellement, ce seront par exemple les textes en langue étrangère (annonce en chinois : Prestil, 1967), les textes et les images minuscules (Prestil, 1968) et à la limite la page vide, entièrement blanche ou entièrement noire. Ce cas limite exerce une certaine fascination sur les créateurs publicitaires qui l'utilisent souvent, mais en cherchant à justifier son utilisation par le contenu du message : la page noire illustre par exemple une publicité pour un institut d'optique (Better vision institute, 1963) ou une scène nocturne (draps Deschamps, 1966) ou une locution (" When Harper's Bazaar says black, it's basic ", 1964). Et la page blanche illustre l'absence de changement dans le produit (Volkswagen, 1962) ou l'absence d'annonce (" No ad today " : annonce en faveur de la publicité dans les mois creux, Advertising Age, 1966) ou la page vierge destinée à l'écriture (" Si vous n'avez pas encore une calculatrice Burroughs, nous vous offrons cette page blanche pour faire vos calculs ", 1966).
C.2. Substitution d'un élément similaire.
La rhétorique classique connaît deux catégories de figures de substitution par similarité : celles fondées sur une similarité formelle (allusion, annomination) et celles fondées sur une similarité de contenu (métaphore, symbole, catachrèse).
Dans plusieurs annonces nous trouvons des substitutions fondées sur des similitudes formelles (allusion) : similitude entre une coupe de champagne et une fleur (Mercier, 1966), entre des hirondelles et des pinces à linge (Matsushita, 1964), entre des seins et des pommes (Elastelle Lycra, 1964), etc.
D'autres sont fondées sur des comparaisons de contenus (métaphores) : ainsi les annonces de Soupline qui comparent un col de chemise à une scie, une serviette-éponge à une râpe, etc.
De semblables comparaisons permettent l'expression visuelle de concepts abstraits (on peut parler alors de catachrèse) : la fraîcheur exprimée par la présentation d'un morceau de glace (Gibbs SR, 1960), la puissance de freinage et la tenue de route d'une voiture exprimées par des rails et un parachute (Alfa Roméo), etc. Lorsque la comparaison devient conventionnelle à force d'être répétée, on peut parler de symbole : la plume signifient la légèreté, l'œuf la simplicité ou la nouveauté, le diamant la pureté, etc. La campagne Lip de 1963 était entièrement fondée sur cette figure : elle proposait une série de qualificatifs (" Fred Lip est sérieux, singulier, passionné, etc. ") en les traduisant visuellement.
C.3. Substitution d'un élément différent.
L'image publicitaire présente fréquemment des équivalents visuels de la métonymie :
- substitution de l'effet à la cause : le réfrigérateur remplacé par un bloc de glace de même forme (Arthur Martin, 1966), la chaussure remplacée par son empreinte (Baudou, 1966) ;
- substitution de la cause à l'effet : la laine remplacée par un mouton (Laine peignée, 1966) ;
- remplacement d'un objet par sa destination : la radio représentée par une oreille et la télévision par un œil (Blaupunkt, 1965, Pathé--Marconi, 1966) ;
- substitution de la partie au tout (synecdoque) : la voiture représentée par un volant ou par une plaque d'immatriculation (Mercedes, 1964 - BP, 1965), le personnage représenté par une partie du corps (main, pied, œil, nez), etc.
C.4. Substitution d'un élément opposé.
L'élément substitué peut être lié à un autre élément du message par une opposition de forme (simple/complexe : périphrase - nom propre/nom commun : antonomase) ou par une opposition de contenu (bien/mal : euphémisme - avant/après : métalepse).
Exemple de métalepse, une annonce de Kronenbourg montre un verre et une bouteille vides pour évoquer la bière qui s'y trouvait. Autre exemple, l'annonce de Ronéo, qui présente un personnage debout dans un désert : l'image de l'extrême dénuement suggère par contraste la profusion de ce que Ronéo peut fournir.
L'euphémisme est fréquent dans la publicité des produits liés à l'excrétion (Harpic, Tampax) mais il est rarement purement visuel (sauf peut-être dans la campagne Harpic de 1963, les postures des personnages semblant destinées à suggérer autre chose).
C.5. Fausse homologie.
Le calembour est la figure substitutive homologue de l'antanaclase (forme identique et contenu opposé) et l'antiphrase est l'homologue du paradoxe(forme opposée et contenu identique).
Une annonce Forza de 1964 donne un exemple de calembour visuel : elle montre un phonographe sur lequel le disque est remplacé par une assiette de nouilles. La campagne Boîte métal de 1964 utilise l'antiphrase en présentant des images absurdes qui démontrent a contrario les qualités du métal (solidité, opacité, légèreté ... ).
D. FIGURES D'ÉCHANGE
Les figures d'échange sont plus complexes à analyser car elles mettent en jeu un plus grand nombre d'éléments (généralement quatre : deux dans la proposition de départ et deux dans la proposition transformée) et ces éléments peuvent être unis par des rapports multiples. Nous attribuerons en fait une importance prioritaire aux rapports qui existent entre les éléments de la proposition transformée.
D.1. L'inversion est la figure homologue de la répétition : les éléments de la proposition restent identiques ; seul leur ordre est modifié. Visuellement l'inversion est réalisée par la présentation d'un personnage de dos ou la tête en bas (semelles Topy, 1964 - Agence Publipress, 1965 - Cuir 20 ans, 1968...) ; ce procédé peut lui aussi obéir à un souci de justification : " Vous n'êtes pas dans le vrai si vous montrez un homme suspendu par les pieds simplement pour attirer l'attention. Vous êtes dans le vrai si vous montrez un homme suspendu par les pieds pour prouver que votre produit empêche les objets de tomber de ses poches " (Bill Bernbach). Dans la régression, l'ordre inversé ne se substitue pas à l'ordre direct, mais se juxtapose à lui (Lejaby, 1964 - Pierre Ferrat, 1966).
Une autre figure, homologue de la gradation, modifie les dimensions respectives des éléments de l'image, en présentant par exemple un petit personnage à côté d'un produit géant (Vitelloise, Rex Vaisselle, Ajax Vitres, Chaussures Séducta, etc.). Elle peut aussi se réaliser par une déformation des objets (Masuflex Sarlanc, 1965 - Favorit AEG, 1966).
D.2. L'hendiadyn crée une similarité de forme grammaticale entre deux éléments différents (par exemple " l'espace limpide " devient " l'espace et la limpidité ").
On en trouve un équivalent visuel dans la campagne Génie de 1963 : une similarité de forme était établie entre un objet concret (un paquet de lessive) et un concept abstrait (" des économies de gaz "), ce concept étant illustré par une image aux contours analogues à ceux du paquet.
L'homologie peut être considérée à l'inverse comme une figure fondée sur une similarité de contenu : le même contenu sera présenté successivement sous des formes grammaticales différentes (" Laissez les travailleurs travailler, les étudiants étudier... "). Ainsi l'annonce Stocki, de 1965 présente d'abord le steak cru et un paquet de Stocki, puis le steak garni de purée dans une assiette.
D.3. L'asyndète, qui modifie les rapports existant entre les éléments de la proposition en supprimant les coordinations, aboutit à un résultat analogue à l'accumulation. Son équivalent visuel consiste à découper l'image en bandes verticales ou horizontales et à décaler ces bandes les unes par rapport aux autres (Teddy Girl, 1965 - Racorama, 1966 - Tricel, 1966 - Youthcraft, 1966 - Star, 1966).
D.4. Dans l'anacoluthe, l'échange des éléments entraîne une opposition au niveau formel : la proposition contrevient aux règles de la grammaire ; il en est de même pour l'anantapodoton et la syllepse. L'équivalent dans l'image consiste à réaliser par photomontage une image impossible : une armoire qui s'ouvre sur un paysage de vacances (Agalys, 1965), un personnage qui marche au plafond (Roufipan) ou qui sort d'un écran de télévision (Amplix, 1964).
Dans le chiasme, l'énallage (" Ibant obscuri sola sub nocte ") et l'hypallage (" Tant de marbre tremblant sur tant d'ombres "), l'échange crée une opposition au niveau du contenu : la proposition est grammaticalement correcte, mais le caractère anormal des liaisons entre les éléments atteste qu'une permutation a été réalisée entre eux. Exemple : un père et son fils, qui ont échangé leur journal, leur appareil photo, etc. (Tergal, 1965).
D.5. L'antimétabole (" Manger pour vivre et non pas vivre pour manger ") est une figure de " double sens ", homologue de l'antanaclase ; on en trouve un équivalent visuel dans une annonce de Tergal, qui présente côte à côte un personnage debout impassible et ce même personnage la tête en bas et gesticulant. L'antilogie (ou oxymoron) est à l'inverse une figure de paradoxe, qui consiste à unir dans une même proposition des éléments apparemment contradictoires (" obscure clarté ") ; cette figure est facile à mettre en image : un panier de fraises posé sur la neige (" cueillette de décembre " Gringoire, 1966), une femme en tenue de plage dans un paysage d'hiver (Outspan) etc.
3. LES FIGURES AU NIVEAU DES ENSEMBLES D'ANNONCES
L'analyse sémiologique en publicité s'est jusqu'ici limitée à l'analyse de l'annonce, qui constitue pour elle le message publicitaire fondamental. En fait l'annonce n'est pas un message isolé, elle s'intègre dans un ensemble d'annonces qui constituent la campagne de publicité. On peut voir dans cet ensemble une simple collection d'objets, sans signification particulière. Il paraît plus exact de le considérer comme un discours, sans doute intermittent et étalé sur une longue durée, mais doué d'une grande cohérence, apportant un message global qui se superpose au message interne de chacune des annonces.
On retrouve en effet au niveau de la campagne de publicité les mêmes figures de rhétorique (analysables en termes de similitude et de différence) qu'à l'intérieur de l'annonce. Les figures apparaissent même ici de façon plus nette et plus pure, en raison de la délimitation rigoureuse des éléments constituants.
Ce message semble échapper à la plupart des analystes. Cela tient aux conditions très particulières dans lesquelles il est émis : les diverses annonces de la campagne se succèdent de façon discontinue dans des supports divers, mêlées aux annonces des autres produits et aux éléments rédactionnels. Cela tient aussi aux conditions dans lesquelles elles sont reçues : le lecteur les reçoit à des intervalles éloignés, dans un ordre quelconque ; il peut ne recevoir qu'une partie des annonces ou retrouver plusieurs fois une ou plusieurs d'entre elles.
La reconnaissance de ce message global peut apporter une solution à la mesure de l'efficacité d'une campagne. Actuellement on n'envisage qu'un effet purement quantitatif, en mettant en corrélation le nombre des " contacts " reçus par un individu avec un indice d'efficacité tel que la notoriété ou l'attitude (courbe de réponse).
Il est certain que si l'on présente à un individu plusieurs fois la même image, il percevra d'autant mieux ce qu'elle contient. Mais il est certain aussi qu'à un moment donné (par exemple à la 3ème ou à la 4ème présentation) une mutation se produira : l'individu percevra soudain qu'on lui a présenté plusieurs fois la même image, il percevra ainsi un signifiant supplémentaire qui n'existe pas au niveau de chacune des images, mais au niveau de leur ensemble.
Et si les images successives ne sont pas identiques, mais (comme c'est généralement le cas dans une campagne) si elles présentent à la fois des similitudes et des différences, il faudra un certain nombre (variable) de contacts pour que ces divers rapports soient perçus et par conséquent pour que l'ensemble des signifiés correspondants soient transmis.
L'efficacité d'une campagne doit donc être établie de la façon suivante. D'abord analyser de façon détaillée l'ensemble des rapports de similitude et de différence existant entre les annonces. Ensuite, étudier expérimentalement sur un échantillon comment varie la perception de ces divers rapports en fonction de la chronologie des contacts (deux contacts avec l'annonce A, puis un avec l'annonce B, etc.) et ceci pour diverses chronologies possibles (" grille de réponses "). Évaluer ensuite (par simulation sur ordinateur) comment la population se répartira entre les diverses catégories d'exposition (" grille d'expositions "). Enfin combiner " grille d'expositions " et " grille de réponses " pour évaluer le degré de perception de chaque signifié transmis par la campagne dans l'ensemble de la population.
Au niveau des ensembles d'annonces, les figures les plus fréquentes sont les figures d'adjonction, et parmi elles les figures de similarité. L'analyse détaillée réalisée au niveau de l'annonce peut être transposée ici et nous pouvons proposer des exemples de campagne pour chacune des catégories du tableau 3 :
a) répétition : N° 5 de Chanel (campagne constituée d'une annonce unique indéfiniment répétée) ;
b) identité de forme et de personnage, variétés du produit : Péroche, 1964 et 1965 (le même personnage, dans la même attitude, présentant les différents articles de la gamme) - Potage Royco, 1966 et 1967 (paradigme pur des variétés du produit) - Mitoufle, 1966 (personnage présentant les diverses utilisations du produit) - Vittel, 1965 (la même bouteille dans des contextes différents : paradigme pur des utilisations);
c) même produit et personnages différents, identité formelle : Champigneulles, 1967 (identité de geste - le regard dans le décapsuleur) - Lava, 1967 (identité dans un détail accessoire : les lunettes rondes) - Monsavon, 1965 (identité de relation entre les personnages : mère-fille) ;
d) homologie : Génie, 1967 (homologie entre les types de personnages et leur vocabulaire) ;
e) identité de personnage et de produit, forme différente : Regia, 1965 (variété de situations) - Renault 4, 1966 (variété d'arguments) ;
f) même personnage, variantes de produit, attitude différente : Leacril, 1966 ;
g) accumulation de personnages et de situations différentes : Set de Pantène, 1967 ;
h) accumulation de variantes du produit : Bally, 1967.
Ces deux dernières catégories, qui proposent des accumulations illimitées de personnages ou d'objets, sont des figures de différence. Lorsque le paradigme est au contraire limité et que ses termes sont épuisés dans les diverses annonces, il y a figure d'opposition :
- paradigme limité de personnages : Badoit, 1966 (homme/femme), Evian Fruité, 1966 (homme/femme/enfant);
- paradigme limité des variantes du produit : Buitoni, 1966;
- homologie entre le paradigme des personnages et le paradigme des variantes : Shampooing GSP, 1966.
La fermeture du paradigme est parfois attestée par la présence d'une annonce somme, qui reprend l'ensemble des termes énumérés dans les annonces successives (Shampooing Stral, 1966).
Un cas intéressant à analyser est celui de la superposition des figures de rhétorique dans l'annonce et dans la campagne : par exemple une figure de similarité au niveau de la campagne peut être réalisée par la répétition de la même figure (avec un contenu différent) dans chacune des annonces ; et cette figure répétée peut être aussi bien une figure de similarité (Génie, 1968 : les 7 taches terribles), une antithèse (Spic, 1968), un paradoxe (Monsavon, 1965 : " qui est la mère, qui est la fille? "), une synecdoque (Perrier, 1966) etc.
4. VERS UNE RHÉTORIQUE FORMELLE
Ce que la rhétorique peut apporter à la publicité, c'est avant tout une méthode de création. Dans la création publicitaire règne actuellement le mythe de " l'inspiration ", de " l'idée ". En fait les idées les plus originales, les annonces les plus audacieuses apparaissent comme la transposition de figures de rhétorique répertoriées depuis de nombreux siècles. Cela s'explique puisque la rhétorique est en somme le répertoire des différentes manières par lesquelles on peut être " original " . Il est donc probable que le processus créatif pourrait être facilité et enrichi si les créateurs prenaient une pleine conscience d'un système qu'ils utilisent intuitivement.
Le champ d'application de la rhétorique classique était strictement limité au langage. Pour appliquer les figures de rhétorique dans le domaine de l'image, il a été nécessaire d'en donner une définition plus abstraite, mais, grâce à cette abstraction, nous disposons maintenant d'un instrument universel, qui peut trouver application dans les domaines les plus variés.
L'idée d'une " rhétorique générale ", déjà pressentie par Freud et Lacan, a été formulée par Roland Barthes : " Il est probable qu'il existe une seule forme rhétorique, commune par exemple au rêve, à la littérature et à l'image " (Communications n° 4, p. 50).
La définition d'une rhétorique formelle pose le problème de ses rapports avec la logique. Il est de fait que, parmi les concepts généraux, les concepts logiques sont pour l'instant les seuls qui aient été formalisés de façon satisfaisante, et l'on peut être tenté d'en conclure que c'est parce qu'ils étaient les seuls susceptibles d'être formalisés : " Certains moments de la dialectique sont susceptibles d'être exprimés par une algèbre ; mais la dialectique elle-même dans son mouvement réel est par-delà toute mathématique " (Sartre, Critique de la raison dialectique, p. 244).
Jakobson semble aller dans ce sens lorsqu'il oppose le langage scientifique formalisé et le langage naturel fondé sur la rhétorique, en montrant que c'est le premier qui dépend du second : " C'est la langue naturelle, celle qui admet la métaphore et la métonymie, qui est la pré-condition nécessaire des découvertes scientifiques " (Interview à l'ORTF, 13 mars 1968).
En réalité, il veut seulement lutter contre le dédain des logiciens qui " considèrent notre langue naturelle comme une langue de second ordre " alors que cette langue naturelle, grâce à sa part rhétorique, est la source de l'imagination et de la création.
Loin de définir le domaine logique comme le seul formalisable, il vaut mieux prendre la logique formelle comme modèle, et chercher en elle le principe d'une formalisation. Or, ce principe est simple : il consiste à contourner ce qui est irréductible à la formalisation.
Ce n'est qu'en apparence que la logique formelle traite du " vrai " et du "faux ". Elle montre seulement comment l'on peut calculer la valeur de vérité d'une proposition complexe, lorsqu'on suppose définie la valeur de vérité de ses éléments constituants. Cette définition est extérieure au système et celui-ci peut fonctionner avec des définitions très différentes de la valeur (le fait qu'un circuit soit ouvert ou fermé, par exemple).
A côté de la logique formelle, qui traite de la conservation de la valeur et qui s'applique au domaine du raisonnement, on peut donc envisager une rhétorique formelle qui traite de la transformation de la valeur et rend compte du domaine de la création.
Les éléments fondamentaux de ce système ne seront pas définis dans leur substance, mais seulement dans leurs relations. Le système définira d'une part comment les relations globales (entre propositions) se déduisent des relations de base (entre éléments) ; il définira d'autre part les diverses transformations qui peuvent être appliquées à ces relations (opérations rhétoriques).
Nous présentons en annexe deux ébauches d'un tel système, la première restant relativement proche des définitions intuitives que propose (ou suggère) la rhétorique classique, la seconde traduisant un effort plus grand de formalisation.
Ce à quoi doit conduire une telle formalisation, c'est bien entendu à une automatisation du travail créatif. Le créateur définira un message de base, en indiquant ses éléments constitutifs (découpage syntagmatique) et en précisant à quels paradigmes ces éléments appartiennent. L'ordinateur réalisera alors systématiquement toutes les variantes possibles du message de base. En fait, l'ensemble des possibles sera probablement beaucoup trop vaste pour que cet inventaire exhaustif soit réalisable.
Il conviendra donc de définir à l'ordinateur une procédure d'exploration, qui lui permettra de sélectionner rapidement les solutions intéressantes sans avoir à examiner toutes les solutions possibles. Un problème analogue a été résolu en matière de choix des supports de publicité, par l'utilisation d'un critère local de cheminement . En matière de création automatique, c'est l'utilisation des concepts rhétoriques qui pourra apporter une solution : la rhétorique offre en effet l'intérêt de définir une typologie parmi l'ensemble des messages logiquement possibles.
BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXE 1. EXEMPLE DE FORMALISATION DE LA RHÉTORIQUE
Elément : unité de base : a, b, c ... x ...
Proposition : ensemble d'éléments reliés par des relations syntagmatiques :
A = a1 + a2 + ....... + ai .... + an
Paradigme : ensemble d'éléments unis par des relations paradigmatiques :
I = {ai , bi , ci , ... xi ... }
Matrice : ensemble de propositions composées d'éléments homologues :
A
= a1 + a2 + ........+ ai ....+
an
B
= b1 + b2 + ........ + bi ....
+ bn
.................................................
X = x1 + x2 + ....... + xi .... + xn
..................................................
Relations paradigmatiques entre éléments :
- " même ": ai = bi
- " opposé " : ai = - bi si paradigme fermé :
" xi : (xi = ai) V (xi = bi)
- " autre " : ai ¹ bi si paradigme ouvert :
$ xi : -( xi = ai ) & -( xi = bi )
Relations paradigmatiques entre propositions:
- identité A = B si " (ai bi) : ai = bi
- opposition A = - B si $ (ai bi) : ai = - bi
- différence A = B" si " (ai bi) : ai ¹ bi
- similarité A = B' dans les autres cas.
Opérations binaires : modification du rapport syntagmatique entre deux éléments unis par un rapport paradigmatique f
- adjonction x ® x + f (x)
- suppression x + f (x) ® f (x)
- substitution x ® f (x)
Opérations quaternaires (échanges) : les rapports syntagmatiques sont modifiés simultanément pour deux couples homologiques d'éléments:
[x + f (x)] + [y + f (y)] ® [x + f (y)] + [y + f (x)]
Opérations ternaires, reposant sur une homologie contradictoire :
- double sens [x = f (y)] + [x = f (-y)]
- paradoxe [x = f (y)] + [-x = f (y)]
ANNEXE 2. DÉFINITION BINAIRE DES RELATIONS
Les propositions sont composées de segments (exemple: forme et contenu), eux-mêmes composés d'éléments.
Chaque élément ne peut prendre que deux valeurs : 0 ou 1.
Une proposition peut être représentée par une suite de 0 et de 1, par exemple :
01001 110100
forme contenu
Relation entre éléments : deux éléments peuvent être de même valeur :
(x = y : exemple x = 1 et y = 1)
ou de valeur opposée (x = Ø y : exemple x =1 et y = 0)
Relations entre segments homologues de deux propositions
- " même " si, "(x,y) : x = y
- " opposé " si, " (x,y) : x = Ø y
- " autre " si [$(x,y) : x = y ] & [$(x,y) : x = Ø y]
Relations entre propositions
(le tableau ci-après indique à titre d'exemple diverses propositions transformées que l'on peut obtenir à partir d'une même proposition de base : 11 - 11) (cf. tableau 1)
(11-11)
+ (10-10)
= (01-01)
Similarité Similarité
de forme de contenu
(11 - 11) (11 - 11)
+ (00 - 10) + (10 - 00)
= (11 - 01) = (01 - 11)
(11 - 11)
+ (00 - 00)
= (11-11)
Double sens Paradoxe
(11 - 11) (11 - 11)
+ (00 - 11) + (11 - 00)
= (11 - 00) = (00 - 11)
Opposition
homologique
(11-11)
+ (11-11)
= (00-00)
Opposition Opposition
de contenu de forme
(11 - 11) (11 - 11)
+ (10 - 11) + (11 - 10)
= (01 - 00) (00 - 01)